Azziard – « Liber Primus – Metempsychose » (2017)

(Par Metallic)

Parution : Format : Label : Univers : Pays :
8 décembre 2017 LP Malpermesita Records Black/Death France (Paris)

Azziard - Liber Primus - Metempsychose (2017)
Track-list :

1) Premier jour  YouTube
2) L’Enfer  YouTube
3) L’Anachorète, Dies  YouTube
4) Ascension  YouTube
5) Le meurtre du héro  YouTube
6) Second jour  YouTube
7) Archétype  YouTube
8) Unus Mundus  YouTube
9) Psyché  YouTube
10) Le Sacrifice  YouTube

Line-up de l’album :

A.S.A : Chant.
Nesh : Guitare, basse, synthés et samples.
Anderswo : Batterie.
Gorgeist : Guitare.

Membres additionnels :

Julien Truchan (Benighted) :
Vocaux additionnels (sur Archétype).
Psycho (Antilife, Hats Barn) :
Vocaux additionnels
(sur Le Meutre du Héro et Le Sacrifice).

Comme je le dis souvent, la scène française n’a jamais été aussi riche et intéressante depuis ces dernières années. Et même s’il est impossible de tout écouter et découvrir, il est important de prendre le temps et d’accorder un intérêt plus soutenu pour une certaine niche de groupes. Azziard fait partie de celle-ci.

Découvert surtout avec leur deuxième album « Vésanie«  sorti en février 2014 sur le label Mortis Humanae Productions, où nous plongions dans l’enfer de la première guerre mondiale, tout comme dans leur premier méfait « 1916«  sorti en mars 2009 sur Obscur Noise. Le groupe de Black/Death est enfin de retour mais avec un tout nouveau line-up composé de quatre anciens membres de The Negation et d’anciens membres d’Insainet End of Mankind entre autres.

Après avoir exploré l’univers de la première guerre mondiale afin de critiquer notre société sclérosée et infectée par les mêmes maux qu’il y a plus de 100 ans, Azziardarbore désormais un nouveau concept dans une ligne bien plus radicale. Celui-ci est basé sur les œuvres de Carl Gustav Jung(1875–1961, psychiatre suisse, fondateur de la psychologie analytique et pionnier de la psychologie des profondeurs, penseur influent…) et les instincts sombres et profonds de l’espèce humaine. Ce concept-album explore la complexité de la psyché humaine et ses aspects métaphysiques, les archétypes de l’inconscient collectif et le processus d’individualisation de la société qui explique la décadence de la civilisation.

L’homme a une partie fondamentalement mauvaise qui ne demande qu’à s’exprimer.

« Metempsychose«  est le premier opus d’un nouveau cycle de 3 albums basé sur « Le Livre Rouge«  (Liber Novus, le Nouveau Livre) de C. G. Jung, qui suite à sa rupture violente avec S.Freud en 1913 explore en plusieurs nuits les cauchemars et fantasmes qui hantent le personnage principal et sa quête, afin de trouver un maître qui lui permettra de satisfaire ses bas instincts et descendre complètement dans le Mal qui l’habite.

Azziard explore les fondements de la psyché humaine, les bas instincts de notre espèce et les concepts métaphysiques de C. G. Jung déjà amorcés par « Vésanie« , au travers d’un personnage dont la folie n’a d’égal que le monde dans lequel nous évoluons. L’humanité étant en passe d’être révoquée par ses propres actes.

Sur la pochette de l’album où une femme est en décomposition, nous apercevons au-dessus l’inscription « Liber Primus », qui n’est autre que la première partie du célèbre « Livre Rouge«  de C. G. Jung. Cette partie exprime avec force le chaos personnel et le désarroi initial dans lequel se débat C. G. Jung, qui craint même de côtoyer la folie. En tant que psychiatre, il la connaît de près. Puis des possibilités de dialogue apaisant surgissent, avec la figure d’Elie (prophète majeur des religions abrahamiques), qui ensuite par avatar se transformera en Philémon, le vieux sage.

J’espère ne pas m’être trop égaré de ce qui vous intéresse ici chères lectrices et chers lecteurs, la musique. Oui qu’en est-elle ? Car avec « Metempsychose«  nous pouvons parler d’évolution dans tous les sens du terme. Comme indiqué plus haut, changement de line-up et changement de label. Parlons de ce dernier, le label français Malpermesita Records. Avant, il y avait le fameux label français Kaotoxin Records que tout le monde connait, mené de main de maître par Nico et son acolyte Juliette. Nico pour des raisons personnelles a dissout le label pour qu’en résulte la création de deux entités, XenoKorp (spécialisé Death Metal et Old School) géré par Nico et Malpermesita Records (spécialisé Black Metal, Black/Death) par Juliette. A noter le travail formidable que font ces deux-là, je leur dédie d’ailleurs cette chronique !

« Vésanie«  avait été enregistré et mixé à l’Hybreed Studio. Pour « Metempsychose«  il a encore été enregistré dans ce même studio mais également au Vamacara Studio. A ce dernier a été confié la charge du mixage et du mastering. Et pour information, « Metempsychose«  est la première sortie physique du label français Malpermesita Records.

« Metempsychose«  est décomposé en deux journées, où dans le Premier Jour on assiste à une véritable descente vers L’Enfer, celle de C. G. Jung après sa dernière violente dispute qui amena la rupture avec son homologue S. Freud.

« Ici est présent l’Enfer.
Cette terre n’est pas votre éden.
Depuis bien longtemps, il est perdu… »
Azziard, extrait de L’Enfer.

C. G. Jung aura une crise identaire très importante qui va le placer dans un état d’enfermement sur  lui-même, de repli vis-à-vis de la société. Il vit retiré du monde pour se livrer à des méditations et à des travaux mais c’est énormement de tourments, de souffrances, de visions morbides… ce qu’on retrouve dans le titre L’Anachorète, Dies. Après une telle descente dans l’obscurité, s’opère par l’Ascension qui s’ensuit (la résurrection). Dans la pensée alchimique l’âme s’élève jusqu’au royaume de l’esprit mais ne trouve pas le salut avant de redescendre dans le centre de la terre.

Si C. G. Jung avait déjà reçu des messages déstabilisants de son inconscient, Le songe de la mort de Siegfried (héros légendaire de la mythologie nordique qui apparait dans plusieurs poèmes héroïques de l’Edda poétique), qui date de 1913 fut particulièrement marquant. C. G. Jung interpréta ce rêve comme un message au sujet de la nécessité de mettre à mort le rêve dominateur des Allemands, incarné par le héros solaire Siegfried. Il s’agissait aussi de mettre à mal son propre mythe du héros avec lequel, inconsciemment, il avait tendance à s’identifier. Mais il s’agissait aussi d’effacer définitivement l’image héroïque qu’il projetait sur S. Freud en tant que père fondateur, ce qui s’apparentait à un parricide. À l’époque de ce rêve marquant de la mort de Siegfried, C. G. Jung renonce définitivement à être l’héritier de S. Freud, rompt avec l’Association Psychanalytique Internationale, quitte son poste à l’hôpital et interrompt sa carrière universitaire. Le meurtre du héro incarne très bien cette mort du héros et il faut noter la remarquable présence du chanteur Psycho (Antilife, Hats Barn) qui rajoute une note dépressive et mélancholique, voire agonisante du héros.

Dans le Second jour, nous avons une image musicale de ce que pouvait émerger de l’activité mentale de C. G. Jung ; à savoir par exemple les archétypes de l’inconscient collectif. Il semble qu’il existe, outre l’inconscient purement personnel défendu par S. Freud, un niveau inconscient plus profond. Ce dernier se manifeste par des images archaïques et universelles qui s’expriment dans les rêves, les croyances religieuses, les mythes et les contes. En tant qu’expérience psychique spontanée, les archétypes apparaissent parfois sous leurs formes les plus primitives et les plus naïves (dans les rêves), parfois aussi sous une forme beaucoup plus complexe due à une élaboration consciente (dans les mythes).

« On croit souvent que le terme « archétype » désigne des images ou des motifs mythologiques définis. Mais ceux-ci ne sont rien d’autre que des représentations conscientes : il serait absurde de supposer que des représentations aussi variables puissent être transmises en héritage.
L’archétype réside dans la tendance à nous représenter de tels motifs, représentation qui peut varier considérablement dans les détails, sans perdre son schème fondamental. »
C. G. Jung, « L’homme et ses symboles » (Robert Laffont, 1964, p 67).
Nous pouvons dire qu’ici les archétypes sur ce titre d’Azziard apparaissent sous sa forme la plus primitive avec la présence remarquée de Julien Truchan (Benighted) et sa voix gutturale à souhait.

L’Unus Mundus correspond à l’idée d’un monde sous-jacent unifié.

Les nombres, selon l’expression de C. G. Jung, « correspondent à la forme la plus primitive de l’esprit », mais paradoxalement, ces mêmes nombres ce sont eux qui décrivent le mieux notre matière… Ont-ils donc une âme ? Sommes-nous en présence d’archétypes ? Dans leur ouvrage commun, « Synchronicité comme principe de connexions a-causales«  (1952), le physicien Wolfgang Pauli et C. G. Jung aboutissent à schématiser les quatre lois fondamentales de l’unus mundus sous une forme quaternaire.

Je connaissais déjà très bien cet excellent morceau d’Azziard puisque Unus Mundus est le titre que vous retrouvez sur le split EP partagé avec le groupe de Black/Death français Nirnaeth.

Ce 45 tours estsorti en juin 2016 chez Kaotoxin Records justement.

« … si l’on identifie la psyché et la conscience, on peut aisément concevoir l’idée erronée que l’homme naît au monde avec une psyché vide, et que plus tard, sa psyché ne contient rien de plus que ce qu’il a appris par expérience individuelle. Mais la psyché est plus que la conscience.
Les animaux n’ont qu’une conscience limitée, mais beaucoup de leurs réactions et de leurs impulsions dénotent l’existence d’une psyché. Et les primitifs font beaucoup de choses dont la signification leur est inconnue. »
C. G. Jung, « L’homme et ses symboles » (Robert Laffont, 1964, p 75).
Azziard, dans Psyché et au travers des travaux et des recherches de C. G. Jung, fait le lien avec l’homme et sa déchéance.

Dans cette infecte société, l’homme est la gangrène de son écosystème

C. G. Jung travailla au Burghölzli, la clinique psychiatrique de l’université de Zurich, en Suisse. Il découvre les travaux de S. Freud avec qui il se lie d’amitié durant sept ans jusqu’à leur rupture après la parution de « Métamorphoses et symboles de la libido«  en 1912 où C. G. Jung dans un chapitre sur « Le Sacrifice » expose notamment ses conceptions de l’inceste et du concept de libido qui l’éloignent de S. Freud. Il sait par avance que ce chapitre représente son propre sacrifice. Et je pense qu’Azziard au travers de cette chanson y représente le propre sacrifice de l’espèce humaine. Et celui-ci est ritualisé avec la voix moribonde de Psycho (Antilife, Hats Barn). La fin de la chanson est sublimée par des chœurs sacrés proches du divin.
Que dire de plus ? J’espère ne pas vous avoir perdu avec toutes ces explications qui peuvent retourner le cerveau, je le conçois. Mais je trouvais important de relier chaque morceau à la vision de C. G. Jung et ses travaux, car chaque titre qui compose « Metempsychose«  a son importance. Si on n’essaie pas de comprendre un tant soit peu la psychologie vers laquelle C. G. Jung se tournait, on ne peut pas comprendre les thèmes abordés par Azziard, à savoir la dégénérescence et le déclin de l’humanité.

Musicalement, j’avais trouvé « Vésanie«  très bon : « Metempsychose«  est bien meilleur. Il est plus abouti et mieux produit. Il y a un travail conséquent avec les arrangements et on ne peut que féliciter le travail des musiciens, ça joue vraiment bien. Cet album a une saveur particulière, celle de la réussite. Vous ne trouvez pas ? Vous devriez alors ! Les textes sont plus travaillés et le parolier sait de quoi il parle, tout comme il est bien instruit sur la psychologie jungienne. Même si avec « Metempsychose«  le concept est différent des thèmes abordés par « Vésanie« , il est malgré tout relié car il faut savoir qu’apparaissaient à C. G. Jung des visions d’horreur et de guerre, celle de la première guerre mondiale, avant même que celle-ci ne débute.

Bref, un album que j’ai pris beaucoup de plaisir à écouter plusieurs fois au casque très tard dans la nuit et à m’instruire avec Carl Gustav Jung. Coïncidence ou pas, quelques jours avant la rédaction de cette chronique, sans savoir que j’allais chroniquer le nouvel album d’Azziard, j’ai regardé le film « A Dangerous Method«  de David Cronenberg sorti en 2011 (avec Keira Knightley, Michael Fassbender et Viggo Mortensen…) justement sur la vie du psychanalyste C. G. Jung et ses relations difficiles avec S. Freud ; film que j’ai vraiment aimé et que je vous conseille.

Autre information, via le Bandcamp de Malpermesita Records, vous pouvez y retrouver depuis le 1er novembre un EP d’Azziard en version digitale. Celui-ci s’intitule « Disruption«  et est disponible gratuitement si vous le désirez, juste ici :

Je vous le redis, n’hésitez pas à plonger avec Azziard dans son nouvel album « Metempsychose« , premier volet d’un nouveau concept, dans les profondeurs de l’âme humaine.
« Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité. Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire. »
Citation connue de C. G. Jung.
Novembre 2017,
Rédigée par Metallic.
Azziard_2017

Liens officiels
Où se procurer l’objet ?

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire